Cuisson domestique : et si la parabole solaire était une solution plus écologique ?

Il existe de multiples dispositifs pour réaliser une des activités principales du quotidien : cuisiner. Nous utilisons usuellement des plaques électriques, des plaques à induction ou des bruleurs à gaz dont la construction et l’utilisation peuvent avoir des impacts écologiques conséquents. Des chercheurs des équipes NCO et Nanomag travaillent sur l’évaluation et la réduction de ces impacts. En adoptant une perspective low-tech [1], ils recherchent une source de chaleur durable qui réduirait l’impact de la cuisson. Les « basses technologies » (low-tech) sont des techniques (objets, outils, savoir-faire) qui ont vocation à être utiles, durables et accessibles [2]. Ils ont ainsi choisi de travailler sur l’énergie thermique solaire concentrée.

L’évaluation globale des impacts d’un procédé est indispensable pour attester de son éventuelle pertinence environnementale. A ce jour, aucune analyse complète et exhaustive de l’utilisation d’un cuiseur solaire à concentration parabolique n’avait été effectuée. C’est ce qui a été fait au cours de la thèse de Bastien Sanglard, qui a soutenu en décembre 2023. Bastien a réalisé l’analyse de cycle de vie (ACV) comparée d’une parabole solaire commerciale (EG Solar, SK14) vs des dispositifs de cuisson communément utilisés. Ces analyses permettent d’évaluer et de comparer plusieurs impacts sur l’ensemble de la vie des cuiseurs [3]: de l’extraction des matières premières nécessaires à leur fabrication, en passant par leur utilisation et jusqu’à leur traitement en fin de vie.

A première vue, l’intérêt d’un cuiseur solaire parabolique est son absence de production de gaz à effet de serre et de particules fines pendant la phase d’utilisation. L’ACV comparée a permis de quantifier les écarts entre les appareils et de mettre en évidence l’importance centrale (i) des matériaux utilisés pour leur construction, (ii) du mix électrique du lieu d’utilisation et (iii) du taux minimal d’utilisation de la parabole solaire pour un bénéfice net.

Importance des matériaux

Les résultats de l’ACV ont montré que lorsque l’on considère seulement la phase de construction des dispositifs de cuisson, les paraboles solaires peuvent dans certains cas avoir des impacts supérieurs à ceux des dispositifs conventionnels étudiés. L’un des points clés pour comprendre ces impacts est le poids des dispositifs : 14 kg pour la parabole contre 2 à 3 kg pour les cuiseurs à gaz ou à induction. Ces résultats sont aussi dus au choix de l’aluminium comme matériau pour la structure et les réflecteurs de la parabole. La production d’aluminium étant un procédé très énergivore, son impact environnemental est loin d’être négligeable : le mix électrique du pays de construction de la parabole a une forte influence sur les valeurs finales des différents impacts, notamment sur les émissions de CO2. Ainsi, la construction d’une parabole générera 2,7 fois plus d’émissions en Chine qu’au Canada. En revanche, lorsque l’aluminium est issu entièrement de recyclage, son impact est réduit d’un facteur 7. Les chercheurs ont en conséquence proposé une alternative à la parabole 100% en aluminium en remplaçant la structure porteuse par une structure en bois, qui permet de réduire d’autant plus les émissions de CO2. La notice de construction de ce module, conçu dans un esprit low-tech, est disponible en open source [4].

Figure 1: Parabole de cuisson solaire en aluminium et structure bois

Importance du mix électrique

Le mix électrique est également crucial dans l’évaluation de l’impact des dispositifs de cuisson électrique lors de leur phase d’utilisation. Par exemple, le mix électrique français est très décarboné suite à l’utilisation importante du nucléaire [5], comparé au mix australien, composé à plus de 70% d’énergie fossile en 2022 [6]. Lorsque l’énergie utilisée par les dispositifs conventionnels de cuisson est très carbonée, que ce soit en raison du gaz naturel ou d’une électricité carbonée, l’utilisation de la parabole solaire devient d’autant plus avantageuse. L’impact dû à la phase de construction de la parabole peut alors devenir négligeable face à l’impact lié à la consommation énergétique des appareils conventionnels lors de leur phase d’utilisation.

Importance du taux d’utilisation

Le tableau ci-dessous détaille le taux minimal d’utilisation d’une parabole pour obtenir une réduction globale des émissions CO2eq de la cuisson en fonction de plusieurs dispositifs de cuisson complémentaires. Il a été choisi de déterminer ces seuils pour deux types de paraboles dont les émissions liées à la construction sont très différentes. On peut alors constater que pour une parabole entièrement en aluminium vs une plaque induction utilisée en France, il faudrait utiliser 35% du temps la parabole pour un bilan positif, soit la préparation d’un repas par jour. À l’opposé, avec une parabole solaire composée de bois et d’aluminium recyclé vs une plaque à induction utilisée en Australie, il faudra utiliser la parabole pour moins d’1% des repas (soit environ un repas tous les deux mois) pour que ce choix soit bénéfique sur le plan du réchauffement climatique.

Figure 2: Taux minimal d’utilisation d’une parabole solaire permettant la réduction des émissions GES de l’activité de cuisson en fonction du type de cuiseur complémentaire utilisé.

Nous avons précédemment présenté l’impact carbone lié aux dispositifs de cuisson. En outre, l’ACV permet d’évaluer un grand nombre d’impacts différents comme l’eutrophisation ou l’acidification des sols, tous pouvant avoir des dommages sur la santé humaine, la qualité des écosystèmes ou la disponibilité des ressources. Les études des 17 autres impacts donnent des conclusions allant dans le même sens que celle présentée, à l’exception de l’indicateur « occupation des terres agricoles » qui est supérieure pour une structure en bois, en raison de la nécessité d’avoir un espace de forêt dédié à la production du bois.

A travers cette étude, les chercheurs du LPCNO souhaitaient qualifier – en suivant une approche scientifique et rigoureuse – un procédé technique faisant partie de l’imaginaire low-tech. Ils ont mis en évidence que le côté « écologique » du solaire à concentration n’est pas automatique, mais dépend de plusieurs facteurs. Même dans les cas les plus défavorables pour la cuisson solaire, il y a toujours un avantage écologique à son utilisation, à condition d’avoir un fort taux d’utilisation. Dans les cas les plus favorables, la cuisson solaire permet de réduire d’un facteur considérable les impacts environnementaux de la cuisson domestique.  

Bibliographie

[1] J. Carrey, S. Lachaize, et G. Carbou, « Les low-techs comme objet de recherche scientifique. Vers une société pérenne, équitable et conviviale – La pensée écologique (2022)

[2] « Qu’est-ce que la low-tech ? », Low-Tech Lab

[3] B. Sanglard, S. Lachaize, J. Carrey, et L. Tiruta-Barna, « Life cycle assessment of a parabolic solar cooker and comparison with conventional cooking appliances », Sustain. Prod. Consum. 42, 211 (2023)

[4] « Une structure bois pour une parabole solaire », Sans pétrole et sans charbon (2024)

[5] « France – Countries & Regions », IEA. Consulté le 6 mars 2024.

[6]  « Australia – Countries & Regions », IEA. Consulté le 1 mars 2024.