Nanotech

MATERIAUX GRANULAIRES POUR DES APPLICATIONS DANS LE DOMAINE DES CIRCUITS NEUROMORPHIQUES

Dans cette thématique nous mettons notre savoir et nos compétences au service de matériaux granulaires pour des applications dans le domaine des circuits neuromorphiques, pour des nouvelles architectures informatiques inspirées par le cerveau. Ces architectures doivent maintenant intégrer le traitement et la mémoire pour une computation plus rapide et efficace, idéale pour des applications d’IA comme l’apprentissage profond et la reconnaissance de formes.

Les ordinateurs modernes basés sur la logique binaire CMOS et sur l’architecture de von Neumann deviendront rapidement inefficaces pour faire face à la révolution provoquée par la quantité croissante de données. Une transition vers un nouveau paradigme de systèmes informatiques inspirés du cerveau et basés sur des dispositifs adaptatifs à l’échelle nanométrique capables d’émuler les processus biologiques du cerveau est absolument nécessaire. Ces systèmes doivent comprendre un réseau à grande échelle de neurones artificiels et de synapses plastiques et permettre une communication et un traitement des données basées sur des impulsions grâce à la manipulation du poids synaptique [1].

Ainsi, les défis de cette approche d’informatique neuromorphique consiste à trouver les matériaux clés incluent les synaptors et les neuristors. Les memristors, des mémoires non volatiles fabriquées à partir de mémoires à changement de phase tels que les PCM, imitent le comportement synaptique en changeant d’état via des modifications structurales à l’échelle nanométrique ou des transitions de phase. Quant aux neuristors, ils imitent le celui du déclenchement des neurones en utilisant des memristors et des circuits résistance-condensateur reproduisant le modèle LIF (Leaky, Integrate, and Fire).

Nous développons donc ici deux approches complémentaires :

1 – Etude d’états intermédiaires (IRS) dans les mémoires à changement de phase (PCM) (collaboration avec le CEMES, STMicroélectronics et le LETI) :

Cet axe est développé dans le cadre de l’ANR INTERSTATES (porteur : CEMES) avec nos collègues et partenaires du CEMES, du LETI et de STMicroélectronics. Dans ce projet, nous combinons deux groupes de recherche (NANOTECH LPCNO et MEM CEMES) avec STMicroelectronics comme partenaire industriel, avec des expertises complémentaires qui offrent une opportunité unique d’explorer l’IRS des PCMs Ge rich GST (G-GST). Les deux équipes de recherche pluridisciplinaires (physiciens, matériaux, caractérisation électrique) des laboratoires LPCNO et CEMES partagent des compétences et des équipements complémentaires.

Les mémoires à changement de phase (PCM) sont de très bons candidats pour constituer de tels blocs de construction [2-4]. Les mémoires à changement de phase basées sur le GST-225 présentent un comportement accumulatif, avec une conductance qui peut être progressivement augmentée ou diminuée par un train d’impulsions électriques (Figure 1). Leurs valeurs de résistance, intermédiaires entre celles des configurations SET (cristalline) et RESET (amorphe), pourraient être utilisées comme poids synaptiques [5-7] si elles sont stables dans le temps, ce qui permettrait aux PCM d’imiter l’activité synaptique et offrirait une plasticité réglable [6-7]. Bien que plusieurs auteurs aient stipulé que les changements continus de conductivité des PCM pourraient être dus à l’augmentation/la diminution de la fraction de noyaux cristallins dans la matrice amorphe jusqu’à ce que les chemins de percolation connectent/déconnectent progressivement les électrodes [8-10], aucune preuve physique n’a été identifiée jusqu’à présent.

Cette hypothèse est probablement suffisante pour expliquer les changements de conductivité observés sur un matériau congruent tel que le GST-225, mais certainement pas pertinente pour des matériaux tels que le G-GST qui se décompose et forme différentes phases au cours de la cristallisation, en raison de la forte concentration de germanium dans le matériau amorphe tel qu’il a été déposé. Grâce à un scénario de cristallisation en plusieurs étapes, les matériaux G-GST et NG-GST sont de bons candidats pour être utilisés dans des dispositifs mémoires permettant d’atteindre des applications informatiques inspirées du cerveau avec une fenêtre de programmation optimisée et une grande stabilité thermique.

Figure : États intermédiaires stables sélectionnés lors de commutations RESET partielles (à gauche). Continuum d'états intermédiaires pouvant être observés lorsque la PCM passe de l'état RESET à l'état SET et de l'état SET à l'état RESET (à droite) [2].

Nous voulons démontrer la possibilité de programmer des dispositifs PCM à base de G-GST dans différents états de résistance intermédiaire (IRS) avec une faible dérive de la résistance dans le temps. Les cellules multiniveaux programmables par des trains d’impulsions électriques sont des éléments clés de l’informatique neuromorphique. Contrairement aux approches révolutionnaires qui peuvent manquer de perspectives de production, ce projet est évolutif et vise à explorer la possibilité de propulser une plateforme numérique avancée fabriquée en grand volume en utilisant des technologies de pointe (FDSOI 28nm) dans l’ère bio-inspirée.

Une compréhension approfondie des propriétés physiques (de l’échelle atomique à l’échelle du dispositif) de ces IRS est nécessaire pour contrôler avec succès leur formation. La distribution spatiale des phases Ge et GST doit être connue et maîtrisée à chaque étape de la commutation progressive, afin de contrôler l’ouverture progressive de chemins de conduction stables et d’évaluer les caractéristiques de l’IRS.

Ce projet devra fournir à STMicroelectronics une stratégie de programmation qui peut être utilisée pour atteindre le plus grand nombre d’IRS bien distinguables, stables dans le temps et la température.

 Le projet poursuit trois objectifs interdépendants :

  1. Comprendre comment la structure de la couche G-GST d’un PCM peut être manipulée à l’échelle nanométrique à mésoscopique, en ajustant les stimuli électriques appliqués au PCM. Atteindre cet objectif nous permettra de contrôler électriquement la taille, la phase et l’organisation relative des différents grains cristallins et de la matière amorphe restante lorsque la couche G-GST se trouve dans un état structurel intermédiaire entre ceux des états SET et RESET du PCM.
  2. Comprendre l’origine, à l’échelle nanométrique à mésoscopique, des propriétés électriques des états intermédiaires des G-GST PCM. En particulier, comprendre la relation étroite entre les caractéristiques structurelles/chimiques (par exemple, la taille, la phase, l’interconnexion des grains de différentes phases) et les mécanismes de conduction électrique (chemins de conduction à travers la couche de G-GST) des états intermédiaires successifs des dispositifs PCM.
  3. Trouver les meilleures stratégies de programmation qui peuvent être utilisées pour commuter les PCM G-GST dans différents états intermédiaires qui présentent les valeurs de résistivité électrique souhaitées et une bonne stabilité dans le temps et la température.

 

2 –Vers les circuits neuromorphiques : (Collaboration avec S. Tricard (LPCNO), S. Brown (School of Physical and Chemical Sciences, Canterbury University, New Zealand),

Dans cet axe, avec mon collègue Simon Tricard (équipe NCO LPCNO), nous développons une approche combinée chimie/physique pour l’étude de la modulation des propriétés électriques des matériaux hybrides nanoparticules métalliques/molécules fonctionnelles qui pourraient être appliquées au domaine du neuromorphique. Dernièrement, nous avons obtenu un financement PHC Dumont d’Urville pour initier une collaboration avec le Pr Simon Brown de la School of Physical and Chemical Sciences, Canterbury University, Nouvelle-Zélande, un des spécialistes mondiaux de circuits neuromorphiques. Ce contact nous ouvre des perspectives extrêmement prometteuses pour l’élaboration de dispositifs électroniques de faible puissance.

 La force de ce consortium réside dans la synergie entre nos équipes de renommée mondiale grâce à l’expertise complémentaire en chimie, en mesures physiques et en modélisation des différents partenaires pour définir une approche résolument nouvelle dans les concepts de l’électronique neuromorphique. En effet, le monde entier dépend aujourd’hui de l’accès aux technologies informatiques, même pour les tâches quotidiennes les plus simples. L’internet, les téléphones portables et même les réfrigérateurs sont construits à l’aide de puces informatiques modernes dont la puissance découle d’améliorations incroyables dans les technologies de fabrication des puces.

Il a donc été, pour beaucoup, surprenant de découvrir que l’industrie informatique demeure confrontée à deux crises importantes :

1) il existe des goulets d’étranglement bien établis qui empêchent d’améliorer encore les puces informatiques standard, et

2) l’informatique consomme de grandes quantités d’énergie (~10% de l’électricité mondiale) et génère d’énormes quantités de CO2,

Ces chiffres augmentent considérablement d’année en année et risquent d’être exacerbés par l’intelligence artificielle (IA), qui s’appuie généralement sur de grands supercalculateurs.

Les solutions à ces deux crises se trouvent dans un seul et même endroit : le cerveau humain :

1) La structure du cerveau contourne les goulets d’étranglement des technologies informatiques existantes en utilisant des architectures hiérarchiques complexes, plutôt que des réseaux réguliers de transistors, et

2) le cerveau est incroyablement puissant pour exécuter de nombreux calculs, de nombreuses tâches informatiques (par exemple, la reconnaissance des formes), et ce en utilisant une puissance remarquablement faible (<50W).

C’est pourquoi, partout dans le monde, des chercheurs s’inspirent du fonctionnement du cerveau pour explorer de nouvelles technologies semblables au cerveau (« neuromorphiques »). L’une des stratégies les plus prometteuses consiste à tirer parti des comportements intrinsèquement semblables à ceux des neurones et des synapses de certaines classes de nouveaux dispositifs nano-électroniques.

Le partenaire néo-zélandais, Dr Simon Brown, a développé une capacité unique et puissante pour construire des réseaux de nanoparticules qui présentent un comportement similaire à celui du cerveau, notamment en démontrant que les espaces entre les nanoparticules agissent comme des neurones, et que, comme dans le cerveau, les avalanches de pointes neuronales sont critiques, c’est-à-dire que les réseaux sont optimisés pour le traitement de l’information.

Plus récemment, avec Simon Tricard (NCO/LPCNO), nous avons prouvé que l’insertion de molécules bien conçues est un outil très puissant pour régler les propriétés électriques des assemblages de nanoparticules [11] ayant des propriétés semblables à celles des neurones et des synapses. Les dispositifs considérés étant auto-assemblés à l’aide de méthodes simples et peu coûteuses et fonctionnent à des vitesses environ 1000 fois supérieures à celles du cerveau.

Ces techniques sont donc idéales pour construire des réseaux semblables au cerveau, ce qui permet de reproduire les technologies d’intelligence artificielle existantes sur des puces qui peuvent être incorporées dans une multitude d’appareils électroniques commerciaux beaucoup plus petits et plus efficaces (e.g. les ordinateurs portables, les implants médicaux, l’internet des objets, la surveillance à distance de l’environnement, etc).

 

Les objectifs du projet sont les suivants :

– La fabrication de dispositifs électroniques à base de matériaux hybrides combinant des nanoparticules du Pr Simon Brown et des molécules du Dr Simon Tricard,

– La caractérisation électrique par spectroscopie d’impédance et la démonstration de comportements neuromorphiques,

– Le développement de la modélisation des systèmes comme un réseau de percolation.

L’objectif principal de ce projet est donc de construire des dispositifs neuromorphiques dans lesquels les espèces moléculaires intéressantes sont déposées sur des réseaux de nanoparticules :

1) démontrer de nouveaux types de fonctionnalités semblables à celles du cerveau et

2) de comprendre comment de nouvelles fonctionnalités peuvent être incorporées dans des dispositifs aux performances de calcul améliorées.

Les calculs spécifiques ciblés comprennent l’apprentissage associatif via la formation de chemins de conductions à travers les réseaux, et les tâches d’apprentissage non supervisé (où les entrées dans le réseau sont des données de base).

 

1 – S. Yu, Proceedings of the IEEE 106, 260 (2018).
2 – D. Ielmini  et al., Nature Electronics 1, 333 (2018).
3 –  R. Islam, J. Phys. D : Appl. Phys. 52, 113001 (2019).
4 – Memristive devices for brain-inspired computing, Woodhead Publish. Series in Electronics and Optical Materials, S. Spiga et al. editors, Elsevier (2021).
5 –  G. W. Burr et al., Advances in Physics: X 2, 89 (2017).
6 – Phase change memory device physics, reliability and applications, Andrea Redaelli editor, Springer (2018).
7 –  P. Zuliani et al, IEEE Transactions on Electron Devices 60, 4020 (2013).
8 –  G. Navarro et al., 2013 IEEE IEDM meeting, p.21.5.1 (2013).
9 –  M. A. Luong et al., Phys. Stat. Sol. RRL 2000443 (2020).
10 – Y. Yin, Appl. Phys. Lett. 95, 133503 (2009).
11 – Enhanced Dielectric Relaxation in Self-Organized Layers of Polypeptides Coupled to Platinum Nanoparticles: Temperature Dependence and Effect of Bias Voltage. Louis Merle, Ghada Manai, Adeline Pham, Sébastien Lecommandoux, Philippe Demont, Colin Bonduelle, Simon Tricard, Adnen Mlayah, Jérémie Grisolia* J. Phys. Chem. C 2021, 125, 41, 22643–22649 https://doi.org/10.1021/acs.jpcc.1c06457